Mardi 8 avril 2003
Les coulisses de la chanson française : Renée-Claude
Gaumond
par Marc Andrieu

Renée-Claude
Gaumond, je l'ai entendue la première fois chez Jean-Marc Le Bihan,
sur les pentes de la Croix-Rousse. Elle passait en première partie
de Thibaud Couturier.
Ce soir-là, j'étais tranquilou avachi sur un banc, et j'attendais
l'artiste de la soirée, pas la première partie. Arrive un bout de
fille. Je regarde, vaguement, parce qu'elle a les yeux verts. Puis
arrive le pianiste. Et je replonge dans mes pensées.
Lumières, balances et elle attaque. La salle est comble, mais ce
n'est pas pour elle. Et pourtant ! C'est elle qui la remplit, maintenant.
Dès les deux premières notes, dès le premier regard sur son public,
on est tous scotchés. Ce petit bout de nana pas plus grand qu'un
échantillon déchire l'espace. Elle le transcende tantôt comme une
caresse, tantôt comme une tornade et tout cela s'enchaine harmonieusement,
entrainant un public irrémédiablement acquis, désormais. Une chose
est sûre, Renée-Claude est là et bien là.
Avec sa façon typiquement à elle de transformer la chansonnette
en vraie grande chanson Française. Et inversément. Elle le fait
facilement, naturellement. Il suffit de lui donner un micro, pas
forcément d'ailleurs et… un public, de toutes façons, pour que ça
fasse des heureux. Si la notoriété était exactement proportionnelle
au talent, nul doute que Renée-Claude serait dans les toutes premières
mondiales. Décidément, le Québec nous envoie de vrais artistes,
authentiques, réellement talentueux. Il est largement temps de s'apercevoir,
en France, qu'on en a une sur notre territoire. Juste là, pas bien
loin…
Renée-Claude, tu es notre tout premier coup de cœur artistique et
c'est une très grande fierté pour nous de te dire ici combien on
aime ce que tu fais.
MA : Renée-Claude Gaumond, on a l'impression que vous chantez
depuis toujours. Ce n'est peut-être pas tout à fait vrai, mais qu'en
est-il exactement ?
RCG : Ma première scène, en fait, j'avais vingt ans, quand
j'ai chanté pour la première fois. J'étais alors à l'université
du Québec.
MA : Renée-Claude Gaumond, on a l'impression que vous chantez
depuis toujours. Ce n'est peut-être pas tout à fait vrai, mais qu'en
est-il exactement ?
RCG : Ça fait maintenant douze, treize ans que je fais
de la scène.
MA : Comment se sont déroulées ces années ?
RCG : J'ai fais du cabaret, des boites à chansons. J'ai
voyagé. A Paris, j'ai partagé la scène avec pas mal de chanteurs
et chanteuses dans des coins qui rappellent bien les caves telles
qu'on les décrit à l'époque de Boris Vian, Gréco et tout ça. J'étais
heureuse de me retrouver là, dans des lieux dont je ne connaissais
que les photos et les évocations. Ensuite, j'ai fais du cabaret.
On était payés au chapeau ou à la soupe, mais ça me plaisait bien.
Il n'y a qu'en France qu'on peut faire ça.
MA : Ces lieux et toute la mythologie qui s'y rattache,
c'est quelque chose qui est proche de votre forme artistique ?
RCG : A cette époque, surtout. J'étais accompagnée par
un pianiste, ce qui facilitait le passage dans ces lieux, petits
mais très chaleureux. A l'époque, je chantais surtout Félix Leclerc,
Gilles Vignault, Gainsbourg, Ferré, Brel, Moustaki, donc beaucoup
d'interprétation et je glissais une ou deux de mes chansons. Et
c'est comme ça que j'en suis arrivé à faire des spectacles avec
mes propres chansons. Sans prétention, évidemment (elle sourit).
MA : Parlez-nous, justement, des chansons que vous écrivez.
RCG : Ah… Les chansons que j'ai écrites… Oui, il y a des
chansons d'amour, qui sont nées du sentiment d'amour… Qui questionnent
l'identité, aussi… Les relations entre les hommes et les femmes
en général et en particulier..
MA : Ça fait penser un peu à de la chansonnette, tout ça.
Pourtant, j'ai un souvenir de vous, extrêmement précis, dans une
chanson qui s'appelle " Rough n roll ". Là, je vous ai vu hurler,
dans une interprétation assez hors du commun et exprimer une partie
de votre talent sur laquelle on ne vous attend pas.
RCG : Oui, pour moi, la chansonnette, ce n'est pas quelque
chose de négatif, mais c'est vrai que j'ai toujours un peu de mal
à parler de mes chansons (on avait remaruqé, ndlr). C'est toujours
difficile de parler de soi en disant qu'on fait de LA chanson Française.
Pour moi, l'essentiel c'est de chanter et d'avoir des gens pour
écouter… Tout simplement..
MA : Je vous sens toute timide, toute fragile…
RCG : Mais je suis timide ! (elle rit). Je suis bien quand
je suis sur scène parce que là personne ne le voit. Même si je rougis,
les spots sont très forts. Miais je ne rougis pas de ce que je dis
sur scène, car ce sont des choses que je pense profondément et qui
sont très proches de ma pensée, tout simplement.
MA : Renée-Claude, comment ça se passe, en France, quand
on a l'accent Québecois que vous avez ?
RCG : C'est dur ! Tout le monde me dit " c'est charmant
", " c'est mignon ", mais la première année, j'ai dû faire un très
gros travail pour " perdre " mes expressions typiquement Québecoises.
Je ne suis pas de passage en France, je me considère immigrante.
Et je pars du principe que je dois m'adapter aux mœurs et aux usages
des Français. Mais c'est contradictoire, j'ai eu l'impression, au
début de perdre ma personnalité. Je veux prendre les plis, mais
sans trop me froisser, en fait.
MA : Et pourtant, comment peut-on être à la fois timide
et fragile comme vous l'êtes et assez forte pour hurler ce que vous
chantez devant parfois quelques milliers de personnes, puisque l'année
dernière, par exemple, vous avez fait la première partie de Jeane
Manson, c'est pas n'importe qui ; cet été vous ferez celle de François
Valery. Vous êtes une artiste confirmée.
RCG : Oh, ce sont des grands mots. L'expérience qui m'a
beaucoup plu, c'est lorsque j'ai fait le Festival d'Avignon, par
exemple. J'étais dans un petit théâtre qui correspondait tout à
fait à l'intimité que je voulais donner à mes chansons, au spectacle
en général et au public en particulier et cette année ça se renouvelle
avec un artiste comme François Valery et ça me permet de chanter
devant trois mille personnes, ce qui est loin d'être négligeable.
Il faut pouvoir se produire, chanter, et il me semble que j'ai beaucoup
de chance de faire cette tournée d'été.
MA : Et comment ça se mélange, justement, deux artistes
aussi talentueux mais aussi différents que François Valery et Renée-Claude
Gaumond ? Quels sont les rapports entre artistes sur scène, mais
surtout en coulisses ?
RCG : L'an dernier, j'ai fait sept spectacles en première
partie de Jeane Manson, donc le contact a été assez bref. Cette
année, j'espère qu'en faisant trente spectacles avec François Valey,
on aura l'occasion de discuter ensemble et j'espère seulement que
le contact soit chaleureux.
MA : Renée-Claude, je me suis laissé dire que vous avez
participé à un concours très important, au Québec…
RCG : Ah oui… Oui, c'est le concours de chanson le plus
important au Québec. Je l'ai gagné en 96, 97… Oui, 97. Et j'ai gagné
10 000 dollars canadiens. J'ai ensuite enregistré un disque avec
trois titres, avec Radio Canada. A l 'époque, j'ai même rencontré
les gens de Warner et de BMG. Et puis le type qui voulait me signer
chez Warner a changé de boite de production et BMG, c'est moi qui
ai refusé leur proposition, parce que ça ne me convenait pas. Et
je suis partie en France.
MA : J'imagine que ce concours est particulièrement difficile.
Comment les candidats sont-ils sélectionnés ?
RCG : Les candidats viennent de tout le Canada et on en
retient 6 ou 700. Il y a deux catégories : interprèste et auteur
compositeur interprète et dans cette dernière catégorie, c'est moi
qui ait été retenue. Je garde un souvenir de ça assez particulier,
c'est vrai que j'avais travaillé beaucoup, j'étais très bien accompagnée.
Ça se déroule à la " Place des Arts " à Montréal, qui est une salle
magnifique. Ce n'est pas négligeable, donc.
MA : Vous avez partagé des scènes qui vous ont marquée
?
RCG : Un jour, j'ai partagé la scène avec Claude Gauthier,
faut vois le célèbre orchestre que c'est chez nous, ce type-là !
Dans la salle, il y avait Pauline Julien, Daniel Lavoie, Sylvain
Lelièvre, des gens comme ça, mais je n'en parle pas parce que je
me dis que je ne suis pas à un assez haut niveau pour pouvoir parler
de ça. Et savoir que Pauline Julien était dans la salle, et que
j'allais chanter comme je chante et comme j'interprète, alors qu'elle
fait les interprétations qu'on connaît, j'étais morte de trac. Et
elle est morte un an après, elle était très malade, elle avait un
défaut de la parole sur la fin de sa vie. Elle était venue me voir.
Elle m'a prise par les épaules et je n'ai pas compris ce qu'elle
m'a dit. Son attachée de presse m'a expliqué qu'elle m'avait beaucoup
aimée. Et Pauline Julien que j'ai toujours tellement admirée, comment
pouvais-je imaginer qu'un jour elle me verrait chanter… Ça ne veut
rien dire, mais pour moi c'était quelque chose de fabuleux, quoi
! .
MA : Est-ce qu'il y a des regrets dans votre carrière déjà
conséquente ?
RCG : Peut-être d'avoir manqué de cran, à certains moments,
pour aller voir des gens pour me faire connaître. Cette maudite
timidité qui freine un peu mon élan, parfois.
MA : Et j'espère qu'il y a des espoirs (elle éclate de
rire). Quels sont vos projets ?
RCG : Un mari, des enfants, une piscine. Non, je rigole
! Déjà cette fameuse tournée d'été. La réalisation d'un disque après
cette tournée d'été. Faite par une autre (rires) " maudite Québecoise
".
MA : On aura une chance de trouver un disque dans les bacs
?
RCG : Si j'arrive à convaincre une maison de disques… Je
l'espère, au moins.
MA : D'autres projets, Renée-Claude Gaumond ?
RCG : Bizarrement, je n'ai pas de projets à long terme.
Ce qui me tient le plus à cœur, c'est d'aller au Québec voir ma
famille, revoir ma mère et revoir le fleuve Saint-Laurent. Oui,
c'est ce qui me manque le plus.
MA : Renée-Claude, partez voir votre Saint-Laurent si vous
voulez, mais surtout, surtout, revenez-nous vite. Je vous rappelle
que vous êtes le tout premier coup de cœur du mag et on ne manquera
pas de suivre votre carrière avec toute l'attention que vous méritez.
Dernière question, Renée-Claude, maintenant qu'on se connaît, est-ce
qu'on peut se tutoyer ?
RCG : Tu parles ! Bien sur, qu'on peut se tutoyer ! (rires)
Merci beaucoup.